Des nouvelles de Limoilou

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Le frère recruteur

 

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À chaque année, le frère recruteur faisait la tournée de toutes les écoles secondaires de Limoilou à la recherche de ceux qui semblaient avoir la vocation religieuse.

 

En 9e année, le recruteur m’avait dans sa mire. J’étais parmi les bons élèves, enfant de chœur, orphelin de père, studieux et pieux… du moins en apparence. J’étais le candidat idéal. Le bon ti-gars.

 

Le frère titulaire de ma classe m’a demandé un jour si lui et le recruteur de vocations pouvaient venir rencontrer ma mère.  Ils avaient de grands projets pour moi, des projets bons pour moi et pour ma famille.  Ma mère les a reçus poliment et m’a demandé après la rencontre si j’avais déjà pensé devenir religieux.

 

Moi, frère?  J’y avais songé vaguement en feuilletant une brochure de la communauté sur les frères missionnaires au Chili.  Je rêvais de voyages et ce pays andin tout en long me fascinait.  Je me voyais vêtu d’une belle soutane blanche, vivant en banlieue de Santiago et enseignant à des étudiants chiliens ayant soif d’apprendre. Ce serait un job intéressant, plein d’aventures dans un pays splendide.

 

Maman n’a pas insisté (elle m’a toujours laissé très libre). Quelques semaines plus tard, curieux d’en apprendre davantage, j’ai demandé à rencontrer le fameux frère recruteur.  Ce dernier m’a reçu à l’école Saint- Fidèle et il m’a vanté les attraits de la vie religieuse : les sports au juvénat (1), la sécurité, les études payées, les voyages quand on devient missionnaire…Il a été très convaincant, un vrai pro du marketing catholique. 

 

J’ai donc décidé que je serais frère enseignant, au Chili bien sûr.  J’ai annoncé à ma mère ma décision et j’ai vu dans ses yeux qu’elle ne s’y opposerait pas mais qu’elle avait de sérieux doutes sur ma vocation.

 

J’ai terminé mon année scolaire à Saint-Fidèle attendant avec impatience mon affectation dans un des juvénats de la congrégation.

 

Début juillet, nous avons reçu une lettre annonçant que je serais juvéniste à Amqui, un village de la Gaspésie, très loin de Limoilou, de ma famille, de mes amis.  Désastre, déception.   La lettre se terminait en m’invitant à passer trois  jours dans un juvénat en banlieue de Québec pour  vivre pleinement l’expérience de la vie en communauté et tester ma vocation.

 

Et c’est ainsi que j’ai passé les pires trois jours de ma vie : lever à 5h30 au son d’un chant grégorien, prière dès le réveil, petit déjeuner, diner et souper agrémentés de la lecture interminable d’un épitre lu par un juvéniste, discipline très stricte, prières et re-prières…  

 

Quand je suis revenu chez moi,  j’ai annoncé que je n’irais pas à Amqui, ni au Chili bien entendu, et que je ne serais jamais religieux. Je ferais le reste de mon secondaire à l’école Jean de Brébeuf située tout près de chez nous. 

 

« C’est ta décision mon gars, fais ce qu’il y a de mieux pour toi » me dit maman.  Et j’ai lu dans ses yeux le bonheur et un grand soulagement.

 

Je n’ai pas mentionné à maman que pendant ces trois jours au juvénat je n’avais cessé de penser à ma voisine, la belle Suzanne. Je n’étais vraiment pas fait pour la vie religieuse et le célibat !

 

  

 (1)  Établissement d’enseignement secondaire catholique, dirigé par des religieux, qui assure la formation de jeunes se destinant à la vie religieuse.

 

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                       Santiago, Chili

 



13/09/2015
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